« Il y a une méconnaissance assez partagée des terroirs de l’appellation Lalande de Pomerol, même parmi les spécialistes qui reconnaissent la qualité de Grands Vins à plusieurs de ses crus. Comment situer Lalande de Pomerol dans la hiérarchie des terroirs Libournais ? » Bernard-Henri ENJALBERT

Observons que si Lalande de Pomerol possédait des terroirs de second rang, on comprendrait mal que des investisseurs avertis aient acquis récemment des propriétés sur les communes de Lalande de Pomerol et de Néac. On note aussi que les cotations du tonneau de vin de Lalande de Pomerol depuis dix ans sur la place de Bordeaux situent cette appellation dans le peloton de tête du Bordelais.

Prenons l’exemple des Châteaux Haut-Chaigneau et La Sergue qui appartiennent aux Vignobles J&A CHATONNET où trois constats principaux permettent de fonder et d’expliciter la qualité de leurs terroirs. D’abord l’histoire, ensuite les caractéristiques géomorphologiques et agrologiques des sols et des sous-sols. Enfin, le fait que Haut-Chaigneau, et plus encore La Sergue, soient des « constructions viticoles » très volontaires. Avec ce triple témoignage, on pourra définir la relation entre qualité des vins élaborés à Haut-Chaigneau et à La Sergue et caractéristiques pédologiques de l’aire qui les produit.

L’Histoire de la paroisse viticole de Néac et l’Appellation Lalande de Pomerol

« Chaigneau » est un hameau qui comprend au début XVIIIe siècle plusieurs métairies appartenant pour la plupart à André Garde, Notaire Royal à Néac. Il possède un patrimoine foncier et agricole important dans le Saint-Emilionnais à tel point qu’il tient avec minutie un « livre de Raison » que nous avons exploité. Il utilise tous les modes de faire-valoir, réservant (pas fou) la gestion directe, plus rémunératrice, aux terres viticoles.

Ayant acquis la « métairie de Chaigneau », il la fait évoluer vers une spécialisation viticole. C’est un signe qui ne trompe pas : dans cette sélection empirique des meilleurs terroirs viticoles, et parce que Chaigneau lui apporte grâce à des vins de qualité de grandes satisfactions et des revenus réguliers, il décide d’étendre là ses plantiers. Plus tard, il envoie aux négociants Libournais des barriques de « Chaigneau » « logées en neuf », ce qui est extrêmement rare dans la région à cette époque(1). A la fin du XVIIIe, le célèbre courtier Tastet-Lawton prendra le temps de consigner dans ses carnets « la capacité à bien se garder des vins de Chaigneau », caractéristique rarissime et capitale à cette période préhistorique de la science oenologique. Cocks & Féret à la fin du XIXe classent les vins du terroir de « Chaigneau », « Chevrol » ou « Chatain », sites actuels la propriété, parmi les crus bourgeois de l’époque en signalant que ces crus « se rapprochent beaucoup de ceux de Pomerol ». Tout ceci marque la reconnaissance de l’aptitude de « Chaigneau » à produire de Grands Vins.

Cette ancienneté viticole du site de « Chaigneau », c’est à dire des Châteaux Haut-Chaigneau et pour partie La Sergue(2) d’aujourd’hui, est qualitativement très significative. Pourquoi ? Parce qu’au milieu du XVIIIe siècle, les meilleurs terroirs viticoles comme à Chaigneau sont déjà sélectionnés ! Les Chatonnet ont d’ailleurs participé à l’époque à cette sélection à St Emilion, alors qu’ils présidaient à la destinée de La Magdelaine et plus tard de Ausone avec Jean Cantenat. Depuis, la délimitation de ces périmètres de la qualité dans le Bordelais a peu évolué. Les vignobles se sont étendus, mais les « noyaux d’élites » sont les mêmes : trois siècles plus tard, presqu’aucun autre grand terroir nouveau n’a été « révélé ».

La Géomorphologie des Terroirs à Lalande de Pomerol et à Chaigneau

Haut-Chaigneau et La Sergue sont situés sur la terrasse de « Chaigneau »(3) et de « Chevrol »(4), sur un modèle de plateau face à celui de Pomerol dans le sens nord-sud.

Ils en sont séparés par la dissection d’est en ouest creusée et remplie par la Barbanne aujourd’hui simple ruisseau.

Il s’agit d’un sous-sol du quaternaire ancien de formation Günzienne avec des argiles, des graves et des molasses comme dans la plupart des grands terroirs de ce type dans le Libournais.

A partir de la surface, des apports sableux éoliens, fluviaux ou issus de la molasse se combinent sur des épaisseurs qui varient selon le modèle ou la force des érosions Flandriennes.

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Profil pédologique au lieu dit La Margaux

De 0 à 15 cm, on trouve un sol léger, avec des graves légères mêlées en surface avec des sables grossiers. Entre 15 et 25 cm, on distingue un dépôt plus argileux discontinu avec des graves fines. Entre 25 et 36 cm, on rencontre un sol très caillouteux, avec de la grave moyenne, des traces de limons et de l’argile. De 60 à 110 cm et plus, le sous-sol est argileux avec une abondance de graves grossières. Le pourcentage de graves augmente avec la profondeur.[/column][column size=”six”]shema02

Profil pédologique au lieu dit Chaigneau

De 0 à 15 cm, on distingue un horizon à structure grumeleuse avec peu de graves fines. On observe ensuite une couche sablo-argilo-limoneuse bien équilibrée qui facilite un enracinement profond et une bonne résistance à la sécheresse. A partir de 60 cm, l’argile devient plus important. On note des concrétions ferro-manganiques oxydées et irrégulières. Le drainage de cette couche est facilité par des tranchées drainantes, des drains enterrés et par le modelé des parcelles en pente. Au delà de 90 cm, comme sur le plateau Pormerolais, on se trouve dans de l’argile du type Smectite qui libère difficilement son eau de gonflement et qui régule parfaitement l’alimentation hydrique en été.[/column][/grid]
Haut-Chaigneau et La Sergue(5) « profitent » de ces trois étages superposés sablo-argileux, puis argilo-sableux et enfin argileux, qui caractérisent tous les grands sols viticoles du nord-ouest des communes de St Emilion, de Pomerol et de Néac en Lalande de Pomerol. Il y a là un équilibre du sol et du sous-sol, entre le matériau ancien et les terrains de transport plus récents d’une part, les limons, les sables et les argiles « aérées » par des graves en surface d’autre part, qui est très favorable à la vigne et à son enracinement.

Les pentes, assez faibles en surface, sont plus fortes en sous-sol. Cependant, les terrains doivent être extrêmement bien drainés afin, ici aussi, d’éliminer les excédents hivernaux et printaniers des précipitations et réguler le battement estival de la nappe phréatique. C’est à ce travail sans fin auquel se sont attelés, André Chatonnet d’abord, et plus récemment Pascal Chatonnet.

La question de l’eau étant réglée, on comprend que c’est la qualité naturelle de ce Terroir qui favorise, en premier, la production des Grands Vins. Après seulement, le travail dans les vignes et dans les chais prennent le relais, avec à Haut Chaigneau et La Sergue, je le constate, peut être plus de talent qu’ailleurs…

Terroirs et vins de Saint-Emilion : L’Archange

Le terroir historique de L’Archange est encadré par de nombreux crus classés de l’appellation tous installés sur le glacis sableux à l’ouest du plateau calcaire sur un sous-sol argileux de molasse.

La parcelle, soigneusement drainée en 1996 et légèrement en pente, permet une maturation parfaite du Merlot qui affectionne particulièrement ce type de sous-sol.

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Les terroirs de St Emilion (d’après Henri Enjalbert(6))

1 : plateau calcaire décapé de St Martin (St Emilion historique), 2 : plateau calcaire à sols rouges de St Christophe, 3 : Glacis sableux du nord-ouest de st Emilion, 4 : coteaux de molasse, 5 : Grande Côte au sud, 6 : Pied de Côte, 7 : limite plateau calcaire 8 :Transition de la petite côte au glacis sableux, 9 : Côte des plateaux orientaux.

S.E. St Emilion ; M butte de Mondot ; S.M Saint Martin de Mazerat ; P. Parsac ; T. : Tauzinat ; Pr. Pressac ; S. Soutard ; H.S. Haut-Sarpe ; Ma. Mazerat, D. Daugay ; B. Berliquet ; A. Ausone, Be. Bélair; M. Magdelaine, G. La Gaffelière, P. Pavie, Ca. Canon ; C. Clos Fourtet, ; Bb. Beauséjour-Bécot; Bd. Beauséjour Duffau-Lagarosse

Notes

[1]
le chêne neuf était surtout utilisé à cette époque par la propriété Médocaine, comme à Latour, à la demande des courtiers bordelais qui répercutaient les exigences des acheteurs, c’est à dire le négoce de Londres et de Bristol.
[2] une partie du terroir de La Sergue est sis sur le plateau de Chevrol, au sommet de la terrasse Günzienne, un terroir proche de celui de Pomerol, mais moins graveleux en surface car plus en altitude à l’époque du dépôt hydraulique des graves par la Barbanne affluent de l’Isle.
[3] ou « Chagneau », proche du lieu dit « Chatain » de châtain au XIIIe dérivé du latin castaneus témoignant de la présence de chataigneraies, pouvant provenir de chêneau (1323), « jeune-chêne » dérivé de chêne, altération de chasnes, du latin populaire cassanus, mot gaulois.
[4] dérivé de chèvre ou chièvre issu de chevreuil XIIe s. (chevroel), Voyage de Charlemagne, forêt à chevreuils
[5] étymologie complexe et incertaine, du latin populaire sarica altération du latin classique serica, la soie.
[6] Les grands vins de St Emilion, Pomerol et Fronsac, Henri ENJALBERT, BARDI ed., 1983

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